Philosophes professionnels et naturels
Les philosophes professionnels (chargés de l’enseignement) sont des gens pétris de philosophie. Ils croient pétrir (leurs ouailles), mais ce sont eux avant tout qui sont pétris — c'est-à-dire, filons gaiement la métaphore, dans le pétrin des problèmes que, de génération en génération, ils se lèguent les uns aux autres. Ils s’enorgueillissent à l'occasion de ce que ces problèmes qu'ils conservent souvent comme des gardiens de musée n’effleurent pas le seuil de la conscience de leurs contemporains. Mais rares sont ceux qui font l’effort de tracer ce qui pourrait relier les problèmes anciens et ceux d’aujourd'hui. Ce n’est pas leur métier, croient-ils.
Il y a d'autre part les philosophes naturels — ceux qui sont naturellement portés vers la rumination des choses de l’esprit, et parmi eux ceux qui ne peuvent faire autrement que penser leur vie plutôt que la vivre.
Certains de ces Uraniens se croient appelés à la philosophie, mais l’affaire a de quoi leur paraître malhonnête. Comment parler sincèrement de ces problèmes qui ne sont pas les leurs ? Et comment leurs ruminations pourraient valoir pour d’autres qu’eux-mêmes ?
Nietzsche a défini quelque part le philosophe comme celui qui dresse l’oreille et retranscrit cette voix intérieure comme si elle était celle d’un étranger. Hélas le "nous" du philosophe professionnel signifie bien souvent la mort de cet hyper-je.